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#1 « Ce que nous ré-apprend le coronavirus. La pandémie, le pouvoir et l’avenir. » Par Jean-Paul Leroux

 

par Lec

 

  1. A) La mondialisation de la vie et les pandémies.

Il existe une unité des êtres vivants dont la formule chimique est contenu dans le couple ADN/ARN (Acide désoxyribonucléique/Acide ribonucléique). Le coronavirus et nous avons la même structure de base. Nous oublions volontiers cette unité fondamentale. La pandémie actuelle ré-apprend ce savoir et nous inscrit dans l’immense règne des êtres vivants. Il n’y a pas de frontière entre nous et les virus. Cette condition d’existence par définition ne peut pas être dépassée.

Les mutations cellulaires sont permanentes, chez les virus et chez les humains. Elles sont une des bases des processus qui ont conduit à l’existence de l’humanité. L’évolution biologique est toujours en cours avec ses bons et ses mauvais côtés. Il y a une discussion pour savoir si l’humanité subit encore un processus évolutif biologique ou si celui-ci a désormais pour moteur la culture. En tous cas, il est clair que nous subissons les contrecoups de l’évolution des coronavirus.

Les barrières entre les espèces sont perméables, fluctuantes, du niveau moléculaires à la totalité d’un organisme. Virus et microbes peuvent nous coloniser et nous absorbons des végétaux et des animaux et réciproquement.

L’humanité est une. Le coronavirus se moque des barrières dites de « races » que cela s’entendent dans le sens de la classification des espèces ou au sens du mot « race » aux États-Unis. Disons le :  « There are no race, only one race the human race ». 

Les processus vitaux sont universels. La « mondialisation » a d’abord été un processus d’expansion de la vie sur toute la planète, ce que nous nommons ainsi n’est que le dernier avatar de cette aventure de la vie. La mondialisation humaine n’est qu’une des formes de cette expansion. L’existence des grandes pandémies (peste, choléra, typhus, etc..) est documentée depuis la naissance des grands ensembles civilisationnels et ne connaît pas les frontières. L’épidémie de la peste au moyen âge (XIVe siècle) a tué une population estimée à plus de 25 millions de personnes. Elle a touché, l’Eurasie, l’Europe et l’Afrique du Nord. Les européens ont apporté, avec eux, des maladies inconnues des peuples vivant en Amérique. Les épidémies de variole (1525, 1558, 1589), de typhus (1546), de grippe (1558), de diphtérie (1614), de rougeole (1618) tuèrent entre 10 et 12 millions de personnes, près de 50 à 60 % de la population amérindienne. Nous avions oublié tout cela, et beaucoup d’autres épisodes (la peste de Marseille en 1720, la grippe espagnole de 1918-1919 tua plus de 25 millions de personnes dans le monde) et nous pensions, erreur grossière, avoir dominé ces grandes pandémies malgré les épisodes du Sras (2002), celle d’Ebola depuis 1976. 

L’oubli des données fondamentales de ces processus vitaux, même s’ils aboutissent à la mort, constitue une amnésie incroyable et criminelle de la part des gouvernements chargés des politiques de santé. D’où vient cette inconscience ? Ce ne peut pas être le fait de l’ignorance, les épidémiologistes sont aussi historiens. Elle renvoie, sans doute, partiellement du moins, à un sentiment de supériorité qui tient à la toute puissance que l’on se plaît à accorder à la science. Ce sentiment de supériorité a également conduit à une « étrange défaite »(1) intellectuelle. Les pays qui ont déjà vaincu l’épidémie (Corée du Sud, Taïwan) ont choisi une politique de dépistage systématique et d’un confinement sélectif concernant les personnes porteuses du coronavirus, nous avons choisi le confinement général inapplicable sans multiplier les injonctions paradoxales, (rester chez soi et aller voter, rester chez soi et aller travailler), et cela par impréparation politique et intellectuelle devant la possibilité d’une pandémie : pas de tests, pas de masques, pas de gants(2), pas assez de lits de réanimation(3), etc.. La déroute intellectuelle engendrant la déroute politique est totale. Et puis, raison complémentaire mais décisive en l’occurrence, les politiques concernant les hôpitaux ont conduit à leur « effondrement », pour reprendre les titres des journaux lors des grandes mobilisations de l’automne 2019. En effet, depuis 2007, il s’agissait de rendre les politiques de santé « rentables ». Pour arriver à cette fin, les variables sont connues : diminuer le nombre de salarié.es, plafonner ou diminuer les salaires, augmenter le rythme de travail, faire porter l’entretien et la construction de nouveaux hôpitaux sur les finances de l’hôpital lui-même au lieu de l’État, établir un barème des actes médicaux (la célèbre T2A) qui créent la concurrence entre le privé et le public, diminuer la part des remboursements de la sécurité sociale, augmenter les cotisations des salarié.es, faire porter la charge aux mutuelles complémentaires, etc. Spinoza raconte l’histoire d’un âne d’une petite ville hollandaise que les habitants trouvaient trop cher à entretenir alors qu’il rendait de nombreux services. Ils décidèrent de diminuer sa ration d’avoine d’un grain par jour,... il finit par mourir de faim. Ainsi nos dirigeants ont mis les hôpitaux et le système de santé dans la désespérance. Si le système fonctionne encore ce n’est dû qu’aux qualités morales des personnels, à leurs luttes, à leurs résistances. Les médecins n’ont apparemment pas encore oublié le serment d’Hippocrate dont se moquent les politiques. Un des ses principes moraux est de ne pas, par son action, aggraver l’état du malade. Il est clair que les politiques menées de détérioration du fonctionnement des hôpitaux, ont dégradé la situation des malades. L’imaginaire de la toute puissance de la technique et de la science, couplé à l’impératif de rentabilité, faire des hôpitaux des entreprises, les a conduit à faire face à la pandémie dans un climat interne perturbé et anxiogène. 

  1. B)  « Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé » (Albert Camus).

Le coronavirus se reproduit en colonisant un hôte. Soit l’hôte et lui peuvent vivre ensemble, c’est le cas dans les populations de chauves-souris et tout va bien. Soit ils ne peuvent pas coexister et alors  ou l’hôte peut le tuer, il se « vaccine » lui-même, il est sauvé, ou il ne peut pas l’anéantir et c’est lui qui meurt. Voilà notre situation face au coronavirus. L’immense majorité des humains fabriquent eux-mêmes des anti-corps contre ce virus, le nombre de cas « mortels » par rapport à la population infectée est très faible et ne concerne que des personnes à risque. « Nous savons aujourd’hui que le Covid-19 est bénin en l’absence de pathologie préexistante. Les plus récentes données en provenance d’Italie confirment que 99 % des personnes décédées souffraient d’une à trois pathologies chroniques (hypertension, diabète, maladies cardiovasculaire, cancers, etc.) avec une âge moyen des victimes de 79, 5 ans (médiane à 80,5) et très peu de pertes en-dessous de 65 ans.(4) » Nous avons là une différence évidente avec les pandémies antérieures. Le coronavirus fait remonter à notre conscience l’énormité des populations qui mouraient pendant les épidémies anciennes. Le chiffre de morts de cette pandémie mondiale du coronavirus est de 15308, le 24 mars 2020. il va certes augmenter mais il est sans commune mesure avec les chiffres de la peste noire, des morts amérindiens et de la grippe espagnole donnés plus haut. Il faut aussi nous souvenir que la première guerre mondiale a tué 19 millions de personnes, la seconde a vu périr 60 millions d’humains. Sans doute cette comparaison est-elle « odieuse » ! Mais après tout, nous la devons au Président de la République qui a annoncé que nous étions en « guerre ». Il ressort de ce parallèle qu’il existe un « virus » bien plus dangereux que le coronavirus, c’est l’homme lui-même. Depuis le déclenchement le 22 mars 2020 de l’épidémie 674 (5) personnes sont mortes du coronavirus en France. Mais il y a eu 3239 décès sur les routes françaises et 149 femmes tuées par leur conjoint l’an dernier. J’arrête là cette comptabilité macabre et puis dira-t-on « comparaison n’est pas raison » . Certes mais cela aide à constater la disproportion des moyens mis en œuvre pour lutter contre ces virus parfois mortels qui se nomment « conjoint » ou voitures et le coronavirus. Pour le pouvoir, la situation des femmes n’appelle pas une mobilisation générale alors qu’elles sont plus de la moitié de la population et le lobby routier vient d’obtenir l’augmentation de la vitesse de 80 km/h à 90km/h sur un certain nombre de départementales. Tous les morts et toutes les mortes ne se valent pas ni d’ailleurs les différentes façons de mourir ! La venue du coronavirus éclaire d’un jour nouveau nos choix politiques et sociaux. Il y avait la mort  « normale » par conjoint ou accident de la route. Le terme de « féminicide » est d’un usage courant de façon très récente (6). Et il y a les morts « anormales », celles causées par l’épidémie. Le paradoxe tient en ceci : même si la mort est l’issue normale et « naturelle » de la vie, celle par « coronavirus », phénomène naturel, est tenue pour anormale. Elle mobilise et déstructure la vie sociale et économique. Les morts non-naturelles (assassinats, accidents de la route) sont, certes, considérées comme une « fatalité » mais la réponse sociale et politique est très faible comparée à l’ampleur des bouleversements provoqué par le coronavirus. En effet, les sociétés ont retenu que les « grandes » épidémies les menacent dans leur existence, de leur point de vue ce qui est mortel, c’est la collectivité. L’opposition est  entre « mort collective » versus « mort individuelle ». Paul Valéry le disait ainsi « nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Il parlait certes de l’épisode de la première guerre mondiale qui avait détruit non seulement des millions de vies mais mis à mal le sens et les valeurs de ce qu’on nommait l’Europe. Cette peur de la mort collective, naturelle comme dans les pandémies, ou artificielle comme dans les guerres ou menaces de guerre, Albert Camus l’exprime parfaitement dans son éditorial du 8 août 1945 au lendemain du largage de la bombe atomique sur Hiroshima : « Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. (..) Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu’une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d’être définitive(7).» La pandémie mondiale n’engendre-t-elle pas collectivement la même angoisse pour l’humanité que la menace de notre destruction par l’arme nucléaire(8) ? Et c’est là encore un paradoxe. Nous devrions depuis la course aux armements nucléaires qui a repris récemment avec la construction de missiles tactiques éprouver une angoisse plus forte que celle à laquelle nous faisons face actuellement. Cette pandémie est beaucoup plus banale(9), que celles antérieures et en tous cas elle est sans rapport avec un désastre nucléaire. Les civilisations humaines sont mortelles mais les sociétés n’ont pas l’air de le savoir contrairement à Paul Valéry. En tous cas, la nôtre ne mourra certes pas du coronavirus, mais elle en ressortira bouleversée.


1. Allusion évidente à l’œuvre de Marc Bloch qui dans « Une étrange défaite » (folio-histoire) rendait compte de la myopie des hommes politiques de la 3ème République et de l’aveuglement de l’État major dans la préparation de la deuxième guerre mondiale . La référence à la guerre qui est celle de Macron est totalement hors de propos sauf sur un point, l’impréparation de l’État face à la pandémie !

2. Stephen Bouquin, Une tempête parfaite, p. 3. de l’article http://universitepopulairetoulouse.fr/spip.php?article2004. « A l’inverse de Wuhan où tout le monde portait un masque, en Europe, aucun pays ne dispose de stocks stratégiques. Nous savons pourquoi : austérité, manque de précaution et incurie dans la gouvernance font que même maintenant, sept semaines après le début de la propagation du virus en Europe, le personnel soignant ou les travailleurs qui font fonctionner sont sans protection. »

3. Gaël Giraud, Dépister, dépister, dépister, Revue Reporterre, 27 mars 2020. « En France nous disposons de 0,73 lits de réanimation pour 10.000 personnes. En Italie, 0,58, Outre-Rhin, 1,25. Si aujourd’hui les occidentaux meurent du coronavirus, c’est parce que trois décennies d’austérité budgétaire (sans fondement scientifique) ont réduit à presque rien la capacité de notre système hospitalier public. En particulier, en France, la loi HPTS de Marisol Touraine, aggravée par la réduction d’un milliard d’Euros des dépenses publiques de santé pour l’hôpital en 2018.

4. JD Michel in http://jdmichel.blog.tdg.ch/archive/2020/03/18/covid-19-fin-de-partie-305096.html, p.3.

5. Le 25 mars le nombre de mort est de 1100 décès, cette comptabilité évolue sans cesse malheureusement.

6. « En France, la Commission générale de terminologie et de néologie, qui travaille en lien avec l'Académie française en a préconisé l'usage dans le domaine du droit en 2014, avec le sens de « homicide d’une femme, d’une jeune fille ou d’une enfant en raison de son sexe ». Il fait son entrée au dictionnaire Le Robert en 2015 : « meurtre d'une femme, d'une fille, en raison de son sexe ». Il demeure cependant absent en 2019 de la plupart des dictionnaires. » Wikipédia. 

7.  Albert Camus,  Réflexons sur le terrorisme, Édition Nicolas Philippe, Paris, 2002, p.53.  

8. La peur liée aux catastrophes naturelles dues au changement climatique peut aussi être mentionnée. J’en ai parlé dans un texte : « Des pliures mortelles du réel aux chantiers des possibles. » (publié par Ensemble ! 05.) De ce point de vue, le ralentissement mondial de la production et de l’économie et des échanges est plutôt pour la planète un moment de répit bienvenue ! C’est un paradoxe de plus de notre situation.

9. Le terme de « banal » ne vise pas à minimiser le drame que constitue la mort de très nombreuses personnes durant l’épidémie, mais à situer à sa juste mesure cette pandémie parmi toutes celles qui sont connues. Un point d’espoir, la Corée du Sud a déjà réussi à maîtriser cette épidémie et cela est très encourageant.

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